«La chasse contre nous sera toujours ouverte»
Reportage sur l'un des sous-marins
russes les plus redoutables,
selon The National Interest

Par Andreï Stanavov
Les nouveaux sous-marins du projet 955 Boreï constitueront dans les années à venir le noyau principal des forces nucléaires russes. Les lourdes trappes sur le pont de chacun de ces sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) renferment 16 missiles Boulava (littéralement «massue»). En prévision de la Journée des sous-mariniers, un correspondant de Sputnik est monté à bord du sous-marin Iouri Dolgorouki (littéralement «au bras long»).
Un «bras long» avec une «massue»
Le chemin jusqu'au SNLE n'était pas simple. Trois postes de contrôle jalonnent la route entre Mourmansk et Gajievo, base principale des forces sous-marines de la flotte du Nord, qui procèdent à des inspections minutieuses et à un contrôle d'entrée très strict.

Le Iouri Dolgorouki est accosté au même quai que son prédécesseur le SNLE de 2e génération Toula du projet 667BDRM Delfin.
Les sous-marins se ressemblent en apparence, à l'exception de la forme de la rambarde de la passerelle et du compartiment de missiles. Sur le projet 955, les silos ont été pratiquement noyés dans la coque, c'est pourquoi la forme «dodue» caractéristique de la silhouette des «Dauphins» a disparu.

Des cercles métalliques rouges ont été placés sur les amarres pour protéger le sous-marin contre les rats qui grimpent parfois à bord depuis le quai.
Deux équipages sont affectés au Iouri Dolgorouki, qui se relaient en moyenne tous les six mois.

Le capitaine de vaisseau, Sergueï Morozov, commande le second équipage du SNLE depuis un an et demi.

Avant cela, il avait occupé pendant 14 ans le poste d'assistant supérieur du commandant du premier équipage.

Il connaît son sous-marin «de la quille à la pomme du mât», comme disent les marins.

«Je suis avec lui depuis "naissance". Nous l'avons mis à l'eau en 2006 pour procéder aux essais. J'ai commencé mon service dans la navigation sous-marine sur le fameux Akoula - le sous-marin lourd du projet 941, et je peux dire que le Boreï est largement supérieur en termes de performances de navigation et de manœuvrabilité. Il s'incline en matière d'habitabilité, mais surtout en raison des volumes d'espace vital. Après tout, l'Akoula est bien plus imposant», explique Sergueï Morozov.

Le nouveau sous-marin, conçu par le bureau d'étude Roubine de Saint-Pétersbourg, a été construit sur le chantier naval Sevmach de Severodvinsk.

D'après Sergueï Morozov, le bâtiment a fait ses preuves dès les premières sorties d'essai, pendant lesquelles il n'a pas connu de pannes sérieuses et n'a pas eu besoin de remorquage. Les défauts mineurs survenus ont été réparés par l'équipage. Le Iouri Dolgorouki est le premier SNLE du projet, c'est pourquoi il a fait l'objet d'un programme d'essai très poussé. Les deuxième et troisième sous-marins de la série ont été testés selon un «scénario réduit».
Il était d'abord prévu d'armer le projet 955 avec des missiles à combustible solide Bark développés par le centre Makeev, mais au final c'est le Boulava de l'Institut thermotechnique Makeev de Moscou qui a décroché le marché. Les caractéristiques de ce missile se sont rapprochées du missile terrestre Topol, il est doté d'un système de franchissement de l'ABM et peut embarquer plusieurs ogives d'une portée jusqu'à 9.000 km.

«L'ennemi éventuel tente de surveiller chacune de nos sorties, notamment à cause de la présence de l'arme nucléaire à bord. Les recherches sont menées par les sous-marins américains de classe Los Angeles, Virginia. Dans les airs opèrent généralement les Orion de la marine norvégienne et américaine», indique Sergueï Morozov.
Chaque SNLE remplit sa propre mission, et les commandants des autres bâtiments ne sont pas informés de leurs emplacements et actions. Ils interagissent seulement avec des sous-marins polyvalents qui assurent la stabilité opérationnelle des SNLE. En d'autres termes, ils se trouvent à proximité et protègent les sous-marins contre des rencontres avec les forces navales ennemies. Dans la flotte du Nord, cette mission est assurée par la division dotée de SNLE du projet 971 Chtchouka-B.
Les sous-marins du projet 971 Chtchouka-B de la flotte du Nord russe au quai de Gajievo
© Sputnik/ Igor Agreenko
Le bâtiment est protégé par huit lance-torpilles de 533 mm à l'avant prévus pour éliminer des sous-marins et des navires. Ces appareils sont «omnivores» et peuvent «digérer» tout type de torpilles, missiles-torpilles et mines autonomes.
Le mode furtif
La bruyance sonore réduite - et donc la furtivité du sous-marin - est garantie par un système en double cascade d'amortissement des équipements intérieurs, qui sont pratiquement isolés de la coque solide en contact avec l'eau. Les bruits et les vibrations des appareils en fonctionnement restent confinés à l'intérieur du bâtiment. A l'extérieur, la coque est recouverte par une épaisse couche de revêtement résineux hydroacoustique. En termes de bruyance, les Boreï sont comparables aux nouveaux Iassen polyvalents, et ne sont inférieurs qu'aux Varchavianka - les sous-marins diesels russes du projet 636.
L'équipage du Boreï compte près de 100 hommes, soit trente de moins que celui du Delfin. Il s'agit principalement d'officiers, d'aspirants et de contremaîtres, et de seulement cinq matelots. Il a été possible de réduire les effectifs grâce aux nouveaux systèmes et mécanismes automatisés.

Selon le capitaine de vaisseau, le sous-marin est si «intelligent» qu'il est capable de manœuvrer selon la direction et la profondeur données, ainsi que de maintenir sa vitesse en mode automatique.

«Comme un avion en pilote automatique, compare Sergueï Morozov. A mon poste, sur le poste central, est affichée toute l'information sur la situation à la surface et sous l'eau. En position émergée nous pouvons même surveiller la situation aérienne avec un radar spécial. Les informations sont transmises en temps réel au système de combat d'information et de contrôle BIUS, c'est le «cerveau» du sous-marin. L'utilisation de l'armement est également automatisée – au maximum deux personnes participent au tir de missiles, les autres postes de combat reçoivent les informations et lisent les indicateurs des appareils.»

Le commandant se trouve généralement au poste central. Quand le sous-marin remonte à la surface, il sort sur le pont et contrôle le passage dans les endroits étroits et dangereux, ainsi que le croisement avec d'autres navires en mer. Les sous-mariniers passent un quart de l'année en mer, en comptant les missions opérationnelles et les entraînements.

Le sous-marin possède une autonomie de trois mois. Sa plus longue sortie était supérieure à 60 jours, selon le commandant.
Le bâtiment est propulsé par un réacteur à eau pressurisée de 190 MW. De plus, il dispose de générateurs diesels auxiliaires, de moteurs électriques et de batteries de secours. Le réacteur propulse le SNLE jusqu'à 29 nœuds en immersion, et jusqu'à 15 nœuds en position émergée.

Toutefois, le sous-marin n'est propulsé à sa vitesse maximale que pendant les essais. Dans les zones de patrouille les SNLE naviguent à vitesse de croisière avec un niveau de bruyance minimal.
Les yeux et les oreilles du Iouri Dolgorouki sont son système sonar numérique commun doté d'une grande antenne.
Ses fonctionnalités: l'écholocalisation et l'écoute, l'identification des cibles, la liaison sonar, la mesure de l'épaisseur de la glace, la recherche de mines et de trous dans la glace. Le système de navigation de bord détermine les coordonnées précises de l'emplacement du SNLE dans l'océan, nécessaires pour le tir de missiles.
Les dispositifs de survie
Le dernier espoir de l'équipage en cas d'accident en profondeur est une capsule de sauvetage émergente capable d'accueillir tout l'équipage. Elle est placée à l'arrière du compartiment de missiles. Les marins s'installent à l'intérieur en cercle sur plusieurs niveaux. Tous les sièges sont numérotés, chacun possède une réserve individuelle d'eau potable et de nourriture suffisante pour plusieurs jours.
«Les consignes sur les poches d'eau expliquent comment il faut boire et en quelle quantité pour éviter la surconsommation. Dans les situations critiques, on ignore combien de temps il faudra attendre l'équipe de sauvetage. Il faut économiser les réserves», explique un contremaître.

Dans le premier et neuvième compartiment se trouvent des trappes de secours pour l'amarrage d'un dôme spécial et de l'appareil de sauvetage AS-28 Priz. Elles permettent également de remontrer avec la méthode d'émersion libre ou une bouée d'orin.
Dans chaque compartiment se trouve une réserve de nourriture d'urgence prévue pour vivre une semaine en isolement. En cas d'incendie ou d'apparition d'impuretés toxiques dans l'air, chaque sous-marinier porte à sa ceinture un appareil respiratoire portatif prévu pour les premières minutes d'une situation d'urgence, pour éteindre un incendie par exemple.

Par la suite, les marins doivent au plus vite se brancher sur le système respiratoire de réserve du navire. Les masques et les tuyaux se trouvent dans tous les compartiments pour chaque membre de l'équipage.

De plus, le SNLE possède des radeaux de sauvetage d'une capacité de 20 personnes chacun. Ils se défendent automatiquement et disposent du nécessaire pour survivre dans un océan. Ils possèdent même des équipements de pêche et des niches spéciales pour récolter l'eau de pluie en vue de la boire. Afin d'économiser, il est recommandé de la mélanger avec l'eau salée. La survie du bâtiment est assurée par le commandant de l'unité BTch-5, qui est mécanicien - l'homme le plus important à bord après le commandant et l'officier en chef. Le mécanicien transmet les ordres dans les compartiments, contrôle le fonctionnement des appareils et des mécanismes et coordonne les actions du personnel.
Le SNLE dispose de douches, d'une salle pour les fumeurs et d'un local de sport. Les marins utilisent notamment un sauna électrique, qui est préparé traditionnellement chaque samedi. Tout l'équipage passe successivement au sauna, d'abord les officiers, puis les maîtres principaux, et enfin les contremaîtres.
Le vin, le caviar et les perspectives
La nourriture est servie à bord du Iouri Dolgorouki quatre fois par jour – petit-déjeuner, déjeuner, dîner et thé du soir. En mer, chacun a droit à 50 grammes de vin rouge et à une portion d'esturgeon ou de caviar d'esturgeon. C'est une ration supplémentaire prévue pour les équipages de tous les SNLE. Quatre cuisiniers préparent la nourriture et servent la table. Encore deux ou trois matelots sont également affectés aux cuisines pour aider. Les officiers mangent dans un local spacieux de 25 places, les maîtres principaux et les contremaîtres dans une cantine prévue pour 36 personnes.
Un local à part est réservé pour l'infirmerie. Le commandant affirme qu'il a déjà eu à arracher des dents et à éliminer des furoncles aux marins. Aucune opération sérieuse n'a encore été nécessaire, mais les conditions pour cela sont réunies: une table, une lampe d'opération, des scalpels, des pinces, etc.
«Nos médecins sont des chirurgiens de spécialité. Ils suivent une formation supplémentaire dans des centres de formation: thérapeute, ophtalmologue et ainsi de suite. Le médecin possède un assistant, généralement un maître-technicien, qui suit une formation de deux semaines à l'hôpital. Il assiste aux opérations, regarde, note, aspire le sang. Tout cela est pris en compte», explique le commandant.

A côté de l'infirmerie se trouve un petit compartiment hermétique pour isoler l'équipage des marins atteints de maladies infectieuses ou soumis aux radiations lors d'un accident.
Selon le commandant, dix élèves sont en stage sur le Iouri Dolgorouki cette année, bien que le calendrier n'en prévoie que deux. Ce qui représente un concours de 5 personnes pour une place. Les sous-mariniers sont formés au centre de Sosnovy Bor, près de Saint-Pétersbourg.
Le SNLE Iouri Dolgorouki est le premier - et pour l'instant le seul - bâtiment du projet 955 à avoir rejoint la flotte du Nord. Comme l'a annoncé l'amiral Nikolaï Evmenov, commandant de la flotte, les tirs de missiles du Iouri Dolgorouki en mai 2018 sur le polygone de Koura au Kamtchatka ont été inscrits dans le Livre des records des forces armées russes. Rappelons que le SNLE avait alors porté une frappe massive avec quatre missiles Boulava simultanément.
Deux autres navires du projet modernisé Boreï-A, l'Alexandre Nevski et le Vladimir Monomakh, sont affectés à la flotte du Pacifique.

De plus, les chantiers navals Sevmach terminent la construction de quatre coques pour les SNLE Prince Oleg, Généralissime Souvorov, Empereur Alexandre III et Prince Pojarski, dont la mise à l'eau est prévue d'ici 2022.
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