Les plaisirs secrets des femmes russes vus par l'une d'entre elles
© Yuri Klimenko
Par Elizaveta Shagina
J'entre dans une salle de danse où tout brille. L'air est lourd de plaisirs et de divertissements à venir. Des jeunes filles en habits somptueux sont réparties en petits groupes le long des murs. Elles se murmurent quelque chose à l'oreille en se cachant la bouche avec une main gantée.

Ici, on a l'impression que le XXIe et même le XXe siècle n'existent plus. Seul l'appareil d'un photographe professionnel peut rompre la magie. La musique démarre, les danseurs forment des couples pour danser une polka.
© Yuri Klimenko
«L'année 1995 est considérée comme le point de départ lorsque plusieurs personnes originaires de Saint-Pétersbourg sont allées participer à des ateliers en Pologne. Les amateurs de jeux de rôle grandeur nature étaient le groupe le plus actif en ce qui concerne l'étude des danses historiques, c'est ce groupe-là qui a entrainé la grande majorité des amateurs contemporains de danse. Plus tard, en 2011, le Festival de danse ancienne a fait son apparition. Ceux et celles qui avaient déjà des connaissances, transmettaient leur savoir aux autres. Ensuite, on a commencé à inviter des professeurs d'Europe et des États-Unis»
Dmitri Filimonov
amateur et professeur de danse, docteur en mathématiques et professeur d’université dans la vie réelle
© Yuri Klimenko
* Amateurs de jeux de rôle grandeur nature: communauté informelle des passionnés de jeux de rôle liés dans leur majorité à l'histoire et à la fantasy dans lesquels ils interprètent des personnages historiques ou de la littérature. C'est aussi bien une activité de loisirs qu'une culture avec son propre jargon, sa musique, sa littérature,… Ce loisir est apparu en URSS dans les années 1980 pour atteindre son apogée au milieu des années 1990 après la chute de l'Union soviétique.
Les cours de danse des professeurs européens ont servi de point de départ à cette activité qui plus tard passionnera des milliers de Russes partout dans le pays.

En 2011, a été créé le Festival de danse ancienne où ceux qui avaient eu la chance d'assister à des cours de professeurs européens partageaient leurs savoirs avec les autres pour ensuite inviter des professeurs d'Europe et des États-Unis à venir au festival qui se déroulaient alors à Saint-Pétersbourg, explique Dmitri.

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Des ouvrages de la bibliothèque du Congrès des États-Unis étaient les premières sources pour l'étude des danses. Ces ouvrages numérisés comprenaient aussi bien les descriptions des mouvements de danse que des «schémas» c'est-à-dire la représentation de la danse vue d'en haut.
La danse historique passionne dans beaucoup de pays du monde mais en Russie c'est différent parce que, tout d'abord, c'est une activité souvent bénévole pour les professeurs et les amateurs.

De plus, ce sont des jeunes qui s'y intéressent alors que dans les pays occidentaux, la danse historique attire le plus souvent des personnes âgées, des retraités. En Russie, ce sont en général des étudiants et des jeunes diplômés.

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«Ma copine a voulu aller avec moi au bal des Forêts d'or. Ensuite, je me suis pris de passion pour la danse. J'ai commencé à enseigner. C'est comme ça que je me suis retrouvé ici», confie Rostislav Kondratenko, ingénieur.
Dmitri Filimonov et Rostislav Kondratenko font partie du club Forêts d'or (Zolotyé lessa) dont ils sont également professeurs de danse. Ce club est l'une des organisations les plus influentes dans son domaine. Dmitri et Rostislav sont tous les deux diplômés de prestigieuses universités de Moscou. Ils ont fait carrière dans l'ingénierie et les mathématiques. Comme pour la majorité des passionnés de danse historique cette activité ne leur apporte pas d'argent mais au contraire est assez coûteuse.

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Les danses historiques
Cette activité de loisirs n'est pas des plus simples, ni des moins chères.

Ceux et celles qui veulent danser dans des hôtels particuliers et des palais doivent non seulement assister aux cours de danse de Dmitri, de Rostislav ou de d'autres professeurs mais aussi avoir des habits d'époque: des robes pour les dames et des costumes pour les messieurs confectionnés par eux-mêmes ou par un tailleur. Les prix commencent à 100 dollars.
Ils dépendent de la qualité des tissus et de la complexité du travail.

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Mais les habits, ce n'est pas tout. Si vous voulez vous sentir comme une vraie dame du XIXe siècle, il faudra penser à porter la bonne lingerie et à avoir la coiffure adéquate et bien évidemment des bonnes manières. Un corset, le must have, est différent suivant les époques. Les hommes ont plus de facilités mais ne peuvent pas se permettre de venir en jeans.
«Il faut comprendre le contexte de l'époque reconstituée, comment était l'esthétique à l'époque, en particulier l'esthétique de la danse. Il ne faut pas insérer involontairement des idées esthétiques et sociales contemporaines dans la reconstitution. C'est compliqué»
Rostislav Kondratenko
Des femmes assises, les jambes croisées ou regardant l'écran d'un portable dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle dans une robe splendide d'époque cassent l'impression de danser chez des comtes et des princes.

L'étiquette est stricte et n'a rien à voir avec le féminisme du XXIe siècle. Les femmes attendent patiemment d'être invitées par un homme qu'elle connaisse en restant debout près du mur.

Cependant, tout le monde n'a pas envie d'attendre et de sourire en attendant les hommes. Les unes dansent avec d'autres femmes, d'autres prennent des airs penchés laissant entendre aux hommes qu'elles voudraient être invitées à danser.


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Il existe des danses aux schémas pas très compliqués comme le menuet ou le quadrille français.
Cependant, même si quelqu'un vous invite à danser, vous ne saurez entrer sur la piste que si vous connaissez le schéma. La valse n'est pas très compliquée, même si elle se distingue sensiblement de la danse actuelle.

Il existe des danses aux schémas pas très compliqués comme le menuet ou le quadrille français. Pour danser, vous devez vous entraîner constamment et retenir la succession de pas comme le font les danseurs professionnels.

© Dmitri Ivanov
On peut danser tant dans un auditorium d'une université que dans un palais classé au patrimoine mondial. Il m'est arrivé il y a deux ans d'assister à un bal à la Maison Pachkov, hôtel particulier néoclassique sur une colline avec vue sur le mur ouest du Kremlin de Moscou. Le bal était consacré à la pièce du poète russe, Mikhaïl Lermontov, Mascarade. Les invités étaient habillés à la mode des années 1830.

Je vous assure qu'en dansant dans la salle où dansaient il y a deux siècles des aristocrates vous vous sentez comme une vraie princesse.

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