«Lorsque ce qu'on appelle le "Printemps arabe" a commencé en Tunisie, en Égypte et en Libye, j'étais persuadée que rien de tel n'arriverait jamais à la Syrie, que ces événement resteraient loin de ses frontières, surtout qu'au cours des années ayant précédé 2011 des développements tous azimuts ont eu lieu dans plusieurs domaines de la vie de la société». Comment explique-t-elle donc ce qui s'est passé? Elle voit derrière l'intolérance religieuse, la jalousie et l'avidité qui a poussé les gens à courir derrière l'argent. «Ils ont comploté avec les autorités turques et américaines contre leur pays», pointe-t-elle. Annonçant qu'ils «militent au nom de la liberté et de la démocratie», ils ont «détruit et incendié les biens publics et privés, ont ouvert le feu, rejetant la responsabilité sur les autorités». |
Ce qu'ils appellent la «révolution» n'a rien à voir avec la révolution, assure l'interlocutrice de l'agence. «La révolution doit être populaire et non importée de l'extérieur. La révolution doit remplir les intérêts du peuple et non agir contre ce dernier. […] Ces gens, ils sont contre leur pays». En parlant de l'avenir de son pays elle se montre pourtant confiante. «La Syrie restera libre et reviendra encore plus forte qu'avant». Et c'est là qu'elle voit son avenir ainsi que celui de ses enfants, car chaque citoyen, souligne-t-elle, doit rester fidèle à son pays et contribuer à son développement. Ce sentiment de patriotisme, dit-elle, est inconnu de ceux qui ont pris part à la destruction de la Syrie. Beaucoup d'entre eux «ont fui le pays avec les poches remplies d'argent, ayant volé les biens du peuple. Ils cherchent à se faire une nouvelle vie après avoir détruit leur pays. C'est ce à quoi ils rêvent. Mais ils détruiront et gâcheront aussi ce qui les entoure à l'étranger», termine-t-elle son témoignage. |
Comment tout a commencé? Interrogé sur le début des événements qui secouent depuis voilà sept ans son pays, faisant de la Syrie un des sujets clés de l'actualité internationale, il plonge dans ses pensées. Les premières nouvelles à la fois inquiétantes et contradictoires proviennent d'Afrique du Nord – de Tunisie, puis d'Égypte et de Libye. «Les gens discutent des révolutions qui secouent ces pays, mais qui ne vont jamais frapper notre pays qui est bien mieux et où on s'aime», c'est ainsi qu'il décrit les semaines qui ont précédé le 15 mars, le jour où les premières manifestations ont eu lieu en Syrie. Mais les protestations commencent et des gens descendent dans les rues, demandant plus de liberté et plus de droits. |
Et la situation a vite dérapé, se dégradant d'une semaine à l'autre et affectant les relations humaines. «Les amis d'antan ont changé d'attitude, à partir de là ils te regardaient à travers un prisme de questions: "Avec qui es-tu?", "Est-ce un ami ou un ennemi?"», relate-t-il. «L'intention était claire – quelqu'un a voulu qu'il y ait un cercle sanglant», explique-t-il, ajoutant que même ceux qui voulaient s'en distancier s'y voyait entraînés malgré eux. «Un proche ou un ami disparaît et, disposé à tuer pour le venger, en une seconde tu passes de l'autre côté du cercle». Selon Ahmad, jusque-là unis, les Syriens ont été divisés en «nous» et «eux», ils ont dû peser chaque mot avant de le prononcer devant l'«autre». «En mars 2011, nous avons perdu un rêve, le rêve du pays… Nous avons perdu l'amour qui était la clé de voute du pays. Nous avons perdu et continuons à perdre, même ceux qui croient avoir gagné», clôt-il son récit. |
En écoutant ma question, un autre Ahmad, médecin travaillant aujourd'hui en France m'interrompt pour me corriger. À ses yeux, il ne s'agit point d'une «guerre» mais d'une «révolution» qui a débuté en mars 2011. À l'époque, il habitait une banlieue de la capitale syrienne et poursuivait ses études en travaillant parallèlement dans un hôpital universitaire. «Ce que j'ai ressenti en mars 2011? J'étais excité, j'étais content et optimiste. Je croyais qu'on allait voir [naître] une autre Syrie au lieu de celle dans laquelle on vivait depuis des dizaines d'années. Je m'attendais à ce que la révolution aboutisse au moins à la démocratie. Je savais que ceci pourrait être long et que ça prendrait du temps et qu'il pourrait y avoir des dégâts», c'est ainsi qu'il résume ses premiers sentiments. Il avoue toutefois ne pas s'être attendu à ce que les événements aillent si loin, ni à l'envergure des conséquences. Les déchirements décrits plus haut par son homonyme lui semblent étrangers, lui qui assure que dans son entourage la plupart des gens partageaient son opinion. |
Sa vision de la situation a-t-elle changé en sept ans? «Aujourd'hui, c'est un sentiment de tristesse. C'est malheureux que les choses se soient passées ainsi, mais ni aujourd'hui, ni hier, ni l'année dernière, je n'ai jamais eu de sentiment de regret. Je ne regretterai jamais», souligne Ahmad. Selon lui, tout changement social «a un prix». «Malheureusement, le prix que les Syriens sont en train de payer aujourd'hui est très cher, mais ça va changer la Syrie de façon immense. Vers le pire ou vers le meilleur, ça je ne le sais pas pour le moment. Mais ça va changer complétement le visage de la Syrie», poursuit-il. En évoquant la Syrie de ses rêves, il parle d'un pays plutôt utopique, un fait qu'il reconnaît d'ailleurs lui-même. «J'aimerais bien voir une Syrie où il y a des gens comme moi. Mais c'est un rêve, c'est impossible d'avoir une Syrie façonnée à ma manière», résume ce médecin. |