«Nous avons oublié la période soviétique»

«Nous avons oublié la période soviétique»

Un habitant d'Ivanovo essaye de préserver l'héritage de l'époque de Brejnev

Depuis plusieurs années, Andreï Safonov, photographe professionnel, prend des photos des panneaux en mosaïque datant de l'époque soviétique dans les rues de la ville d'Ivanovo. Il qualifie ces panneaux de «graffiti socialiste» et est convaincu qu'il faut les préserver pour les générations à venir. Sputnik est allé à la rencontre du photographe.

Je fais des photos des panneaux en mosaïque depuis 2016. Ces œuvres disparaissent à vue d'œil: les bâtiments sur lesquels ils sont situés sont soit refaits ou repeints, soit deviennent vétustes, soit sont même détruits. Les panneaux étaient souvent porteurs de sens idéologiques en reflétant les différentes étapes de la vie du pays.

Ivanovo est une ville de la révolution mais aujourd'hui on préfère ne pas s'en souvenir.

Je voulais attirer l'attention sur ce phénomène culturel, rappeler aux gens qu'il s'agissait d'œuvres d'art. Tous les panneaux et les bas-reliefs ont été créés par des artistes professionnels. Chaque projet devait recevoir diverses approbations et associait beaucoup de personnes. Pour fabriquer un panneau, on utilisait des matériaux pérennes et parfois assez chers tels que le smalt.

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Bas-relief sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

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Concernant la technique utilisée, je classe les œuvres en plusieurs catégories: mosaïques traditionnels en smalt et mosaïques fabriquées à partir de matériaux plus simples – de fragments de carrelage ou de verre à bouteilles. Sur les façades d'immeubles en panneaux préfabriqués, on peut ainsi voir des mosaïques simples et pas chères qui étaient conçues dès l'étape de la production des panneaux préfabriqués.

Je suppose que ces mosaïques étaient créées par des artistes d'une usine locale de matériaux de construction. Ces artistes qui fabriquaient des banderoles avec des slogans pour des manifestations, essayaient d'égayer des tristes façades en bétons des khrouchtchevka, des immeubles typiques de l'époque de Khrouchtchev.

On utilisait également une autre technique qui est celle des dessins gravés dans le mortier. Il existe aussi des mosaïques en briques créées directement dans le mur lors de la construction de l'édifice, donc il n'y avait pas droit à l'erreur. Des bâtiments ont été ornés de toutes sortes de gravures et de bas-reliefs, voire des sculptures en bois. Il n'y a que les œuvres les plus pérennes qui ont survécu jusqu'à nos jours et de nombreuses œuvres continuent à disparaître.

— Andreï Safonov

Lorsque j'ai commencé à faire des photos, je n'imaginais même pas qu'il y avait autant d'œuvres qui ont pu subsister.

J'ai découvert une centaine d'œuvres d'une valeur artistique variée et jusqu'aujourd'hui je continue à découvrir des choses nouvelles. J'étais certain de ne plus rien retrouver mais j'ai découvert trois autres œuvres cette année.

Bas-relief sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Les panneaux sur les façades sont visibles par tous les passants, ils ont été créés pour embellir la ville. En général, ils datent de l'époque de Brejnev lorsque l'idée d'embellissement a été définitivement écartée de l'architecture. La majorité des œuvres ont une connotation idéologique. On peut y lire des mots d'ordre de l'époque: «Paix au monde», «Tout le pouvoir aux Soviets», «Gloire à l'URSS!». Mais il y avait également des panneaux neutres. Je ne me suis pas fixé comme objectif d'étudier tout cela en détail, je ne veux pas voler le pain des spécialistes en art et des ethnographes régionaux.

Aujourd'hui, tout le monde est intéressé par l'architecture d'avant la révolution alors que l'Histoire de notre ville pendant la période soviétique est oubliée.

Il ne faut pas oublier que la région d'Ivanovo est apparue exclusivement grâce à la révolution. Avant la révolution, Ivanovo n'était même pas un centre régional. La ville avait une importance industrielle mais son statut officiel était bas. L'histoire de notre ville est directement liée à la période soviétique.

La plupart des mosaïques et des panneaux ont été créés par les peintres d'Ivanovo. Il y a eu sans doute des exceptions. Ainsi, la mosaïque sur le bâtiment de l'école d'art (avec le mot d'ordre «L'art appartient au peuple») a été fabriquée, à ma connaissance, par les anciens étudiants de l'Institut d'art Sourikov de Moscou.

Cela peut paraître étrange mais les portraits de Lénine sont assez rares, je n'en ai trouvés que deux.

En revanche, il y a des références à l'Histoire de la ville sur plusieurs panneaux. Ce sont en premier lieu des portraits de révolutionnaires dont la vie était liée à Ivanovo et au premier Soviet. Il existe, par exemple, une immense mosaïque avec les portraits de Frounze, des révolutionnaires Afanassiev, Dounaev et Varentsova. Ils sont reconnaissables, on les voit également sur d'autres immeubles.

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

J'ai fait mes études à l'Université d'État d'énergie d'Ivanovo dont le bâtiment est lui aussi orné de mosaïques. Nous, les étudiants, s'amusions à deviner qui étaient les personnages sur ces panneaux.

Nous avons deviné tous les personnages, sauf un qui était grec. Il n'y a pas longtemps, lorsque j'ai fait connaissance avec l'auteur de ces œuvres, le peintre monumentaliste Anatoli Smirnov, j'ai appris que c'était en fait Euclide qui était représenté sur le panneau avec son élève anonyme alors que nous avions pensé à Pythagore ou à Thalès.

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Le style de ces œuvres reflète les traditions de l'art officiel de l'époque. Il m'est difficile de le décrire. Ce n'est d'ailleurs pas mon objectif. J'ai composé une liste d'adresses et fourni les contacts ce qui peut servir de fondement pour une étude.

J'ai réussi à attirer l'attention sur ces panneaux. Le Comité pour la culture a organisé une rencontre avec des habitants la ville qui s'y intéressent. Or, à ce que je sache, il existe un problème sérieux lié à la conservation de ces œuvres d'art.

Ce n'est qu'un immeuble tout entier et non pas une partie qui peut être protégé. Tous ces immeubles n'ont pas de valeur particulière. Les mosaïques sont destinées à les décorer.

Peut-être, je réussirai à faire inscrire les deux plus grandes œuvres sur la liste des installations protégées.

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Bas-relief sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Mosaïque sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Bas-relief sur un bâtiment de la ville d'Ivanovo

Le propriétaire d'un bâtiment a récemment détruit une mosaïque. Elle n'était pas une des meilleures et son état laissait à désirer mais les habitants de la ville ont exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux. Le propriétaire a été, dit-on, stupéfait par une telle réaction.

Lorsque j'ai diffusé les premières photos de mosaïques, j'ai été surpris d'avoir reçu tout de suite des photos d'autres œuvres.

J'entends continuer à photographier, ce seront maintenant des intérieurs. Les artistes d'Ivanovo ont créé une multitude de panneaux décoratifs, de mosaïques et de fresques dans plusieurs établissements et entreprises. Cela ne doit pas disparaître. Il existe d'ailleurs un problème d'accès aux locaux.