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L'enfer des derniers jours
de la famille impériale russe
Il y a 100 ans, le dernier monarque russe Nicolas II était fusillé à Ekaterinbourg avec sa famille. Certaines circonstances de leur mort, tout comme le sort de leurs dépouilles, restent entourées d'un voile de mystère. Que sait-on vraiment sur cette tragédie?
Le dernier empereur russe Nicolas Romanov est monté sur le trône le 2 novembre 1894 (le 21 octobre selon l'ancien calendrier). Après la Révolution de février, le 15 mars 1917 (le 2 mars selon l'ancien calendrier), Nicolas II a abdiqué, tout en destituant également son fils Alexis au profit de son frère cadet Mikhaïl Alexandrovitch, qui n'a pas accepté le trône sous la pression des forces révolutionnaires.

Après son abdication, Nicolas II a été arrêté. Le 22 mars (le 9 mars selon l'ancien calendrier), il a été envoyé de Moguilev à Tsarskoe Selo, où il a rejoint sa famille.

«Les épreuves sont utiles»
Du 22 mars au 14 août 1917, la famille est restée détenue au palais Alexandre de Tsarskoïe Selo. Plutôt comme des otages.

«Vous ne pouvez pas y aller, monsieur le colonel!»: cette phrase, prononcée par les soldats qui le surveillaient, a été entendue à de nombreuses reprises par l'empereur déchu.

Interdit de quitter le territoire du palais, interdit de se promener librement (des gens venaient constamment voir la famille impériale, et les Romanov se plaignaient de se sentir enfermés dans une cage), les lettres étaient censurées.

Partout en dehors de la maison, les membres de la famille étaient accompagnés de six soldats armés. Les nouvelles autorités expliquaient ces mesures par un souci de sécurité.

L'impératrice Alexandre Fedorovna écrivait que ces épreuves étaient envoyées par Dieu. Elle croyait - tout comme son mari - que les troubles se termineraient bientôt, et appelait tous ceux qui étaient du côté de l'empereur à ne pas perdre espoir.

Les membres de la famille royale lors des travaux d'embellissement du parc Catherine lors de leur arrestation à Tsarskoïe Selo // Public domain
«Tout peut être enduré quand on ressent la proximité et l'amour de Dieu, en le ressentant fermement en toute occasion. Les épreuves difficiles sont utiles, elles nous préparent à une autre vie, à un long voyage», écrivait-elle le 28 mai 1917.
«Un endroit plus tranquille»
En été, la situation à Petrograd est devenue critique et les Romanov ont été transférés plus loin de la capitale.

«Ce transfert était dû aux préoccupations du gouvernement pour le bien-être de la famille. Le gouvernement avait adopté une ligne plus ferme dans le contrôle du pays. Dans le même temps, il craignait que la nouvelle ligne puisse entraîner des émeutes populaires qu'il devrait combattre par la force armée. Inquiet que cette lutte puisse nous frapper par «ricochet», le gouvernement a décidé de choisir pour la famille impériale un endroit plus tranquille», se souvenait Pierre Gilliard, professeur de français des enfants de l'empereur présent aux côtés de la famille impériale pratiquement pendant toute la durée de son exil.

Cet «endroit plus tranquille» était Tobolsk, où les Romanov vivaient dans la maison du gouverneur. L'hiver était difficile, les enfants étaient constamment malades. Le régime était le même qu'à Tsarskoe Selo: réveil à 9 heures, cours avec les enfants, promenades ou travail dans le jardin (nettoyage de la neige, préparation du bois). Le soir, Nicolas Alexandrovitch lisait à voix haute pour toute la famille. Le week-end, la famille impériale se rendait à la messe.

Les exilés étaient aidés par les habitants locaux et les moines, même si cela irritait fortement les surveillants.

Une des dernières photographies de Nicolas II prise pendant son exil à Tobolsk, été 1917 // Sputnik
Nikolaï Romanov avec ses filles Olga, Anastasia et Tatiana à Tobolsk en hiver 1917 // public domain
«Le matin, nous avons vu par la fenêtre que la colline était complètement retournée: le stupide comité de la section voulait nous empêcher d'y monter pour regarder par-dessus la barrière!», écrivait Nicolas Alexandrovitch le 5 mars.
Nicolas II avec le tsarévitch Alexis à Tobolsk // public domain
Un mois plus tard, le Comité exécutif central panrusse avait l'intention de transférer la famille à Moscou. Mais cela ne s'est pas passé comme prévu.
Les derniers instants
On ignore exactement pourquoi, le 6 avril, le Comité exécutif central panrusse a envoyé les Romanov dans l'Oural, et non à Moscou. Et pourquoi précisément à Ekaterinbourg: a-t-il intentionnellement choisi ce lieu pour l'exécution ou simplement pour surveiller la famille impériale plus facilement?

Les détenus ont été transférés dans le secret le plus total: d'abord Nicolas avec son épouse, leurs filles Marie et Anastasia et quelques domestiques. La famille n'a été réunie de nouveau que le 23 mai.

Les conditions dans lesquelles vivait la famille se dégradaient de jour en jour. Cela s'est fait notamment sentir avec la nomination, le 4 juillet, d'un nouveau chef de la garde: Iakov Iourovski, membre de la Tchéka (police politique) régionale.
«Le transfert de la famille Romanov vers l'Oural soviétique», de l'artiste V.N. Pchelin. 1927
«Des travailleurs sont apparus à l'extérieur et ont renforcé la grille d'acier sur notre unique fenêtre ouverte. Ils avaient constamment peur que nous sortions ou établissions le contact avec les gardes», écrivait le 11 juillet Alexandra Fedorovna dans son journal.
La chambre de Nicolas II dans la Maison Ipatiev // Public domain
Le réfectoire, la porte de la chambre des grandes-duchesses dans la Maison Ipatiev // Public domain
La chambre des grandes-duchesses après l'assassinat. sur le plancher la cendre et les restes des effets personnels // Public domain
«Hier, le chef Iourovski a apporté une boîte avec tous nos bijoux, a demandé d'en vérifier le contenu avant de la sceller et de la laisser chez nous. La température avait diminué et dans la chambre à coucher, on pouvait respirer plus facilement. Iourovski et son assistant commencent à comprendre quels gens nous entouraient et nous gardaient en nous pillant. Sans parler des biens – ils retenaient même une grande partie des réserves apportées du monastère féminin. Seulement maintenant, après un nouveau changement, nous l'avons appris parce que toutes les provisions ont commencé à se retrouver dans la cuisine», écrivait l'empereur deux jours après la nomination de Iourovski.
Jusqu'à présent on ignore pourquoi les tchékistes, à quelques heures de la fusillade, ont fait partir de la maison Ipatiev le cuisiner Leonid Sednev, qui aimait jouer avec l'héritier. L'impératrice a pensé qu'il avait simplement fui.
Une photographie de l'empereur Nicolas II et de l'impératrice Alexandra Feodorovna au Musée de la sainte famille impériale à Ekaterinbourg // Sputnik, Sergey Pyatakov
Sa dernière inscription dans le journal: «10 ½ (heures). Je me suis couchée. Il fait +15.»
Les circonstances de la fusillade nous sont connues avant tout à partir des dossiers de l'enquête menée par Nikolaï Sokolov sur ordre de l'amiral Koltchak, ainsi que des souvenirs des bourreaux.
Un groupe de bolcheviks de l'Oural sur la tombe des Romanov // Public domain
«Vers 11 heures du soir le 16, j'ai de nouveau réuni les hommes, j'ai distribué des pistolets et annoncé que prochainement nous devrions éliminer les détenus. J'ai averti Pavel Medvedev pour vérifier rigoureusement la garde à l'intérieur et à l'extérieur, pour qu'avec le garde de relève ils surveillent la maison et les maisons de la garde extérieure, pour qu'ils maintiennent le contact avec moi. Et seulement au dernier moment, quand tout serait prêt pour l'exécution, avertir tous les gardes et le reste de l'équipe que si des coups de feu étaient entendus depuis la maison, qu'ils ne s'inquiètent pas et ne quittent pas leur poste, et que s'ils étaient vraiment inquiets, ils devaient me contacter par la liaison établie», se souvenait Iourovski.
La maison Ipatiev, où la famille de Nicolas II a passé ses derniers jours// Public domain
A 13h30, le 17 juillet, un camion est arrivé à la maison Ipatiev. Le moteur continuait de tourner, intentionnellement. La famille impériale et les domestiques ont été réveillés, il leur a été ordonné de rassembler leurs affaires. Les préparatifs ont pris une quarantaine de minutes. Tout le monde a été amené dans la cave et placé le long du mur.

«Il n'y a même pas de chaises», s'est étonnée l'impératrice. Tout comme les autres, elle ignorait pourquoi ils étaient réunis ici. Iourovski a donné l'ordre d'apporter trois chaises.

La composition exacte du peloton d'exécution n'a pas pu être établie. On ignore également qui le dirigeait – Iakov Iourovski ou Piotr Ermakov. Le texte de la sentence lu par Iourovski n'a pas non plus été conservé.

Dans une petite pièce, sous la lumière terne de l'ampoule, se tenaient des hommes en veste de cuir avec des pistolets. Et en face d'eux: des victimes innocentes.
Un tir désordonné
Des tirs, des cris et des pleurs retentissent dans la cave de la maison de l'ingénieur Ipatiev. Les bourreaux visent essentiellement l'empereur.

Plus tard, chaque tireur le revendiquera: «C'est moi qui ai tué l'empereur».

Les tirs durent deux minutes et sont à tel point désordonnés que l'un des bourreaux est lui-même légèrement blessé.

Quand les tirs ont cessé, un cri a retenti dans le coin droit – la domestique Anna Demidova était encore en vie. Coup de feu. L'héritier blessé, Alexis, a repris connaissance et a gémi de douleur. Coup de feu. Dans le coin opposé a bougé la princesse Tatiana – elle n'a pas non plus été tuée immédiatement, tout comme la princesse Anastasia. Le membre du peloton Piotr Ermakov a ordonné à Alexandre Strekotine, tenant un fusil, d'achever les survivants à la baïonnette. Puis il a soudainement saisi l'arme de ses mains et s'est mis à achever lui-même les princesses.
«C'était le moment le plus terrible de leur mort. Longtemps elles sont restées en vie, criaient, gémissaient et tremblaient. C'est surtout l'autre dame qui a souffert. Ermakov lui avait transpercé toute la poitrine. Il frappait si fort que la baïonnette s'enfonçait à chaque fois profondément dans le sol», se souvenait Strekotine.
Le sous-sol de la maison d'Ipatiev à Ekaterinbourg, où la famille impériale a été abattue// Public domain
Le corps de l'empereur a été enroulé dans une couverture et sorti en premier.
Les autres ont été transportés sur des brancards faits de bâtons et de couvertures. Les bolcheviks étaient très pressés: la rumeur se propageait à Ekaterinbourg que les Blancs étaient sur le point de prendre la ville.

Selon une version, les corps ont été dissous dans de l'acide à Ganina Iama, non loin de la ville.

Selon une autre, ils ont été brûlés et enterrés près de la route Staraïa Koptiakovskaïa, près du passage ferroviaire numéro 184. Les bourreaux voulaient effacer les traces: de toute évidence ils avaient peur que les Blancs découvrent les corps et que la nouvelle de l'exécution de l'oint du Seigneur provoque des révoltes de paysans contre les bolcheviks dans l'Oural.

Les Blancs sont entrés à Ekaterinbourg huit jours plus tard et ont lancé une enquête.
Le Temple-sur-le-Sang construit sur le site de la Maison Ipatiev à Ekaterinbourg // Sputnik
Cependant, les restes supposés des Romanov n'ont été retrouvés qu'en 1979.

Les expertises effectuées dans les années 1990 ont confirmé leur authenticité. Mais l'Église n'a pas reconnu les ossements par manque de preuves.

En 2000, l'Église russe a canonisé Nicolas II et les membres de sa famille, dont les restes ont été enterrés dans un tombeau de la cathédrale Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg.

En 2015, une nouvelle enquête a été menée. Trois ans plus tard, le comité d'enquête a annoncé avoir réussi à confirmer l'authenticité des ossements de la famille impériale de Nicolas II.
Objet d'art «Point de non-retour» dans le passage souterrain près du Temple-sur-le-Sang //Sputnik
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