«L'Histoire m'acquittera»:
il a rendu Cuba unique
Il y a 92 ans naissait Fidel Castro
par Alexeï Kouprianov / Izvestia
Ce lundi 13 août, le guide de la révolution cubaine Fidel Castro, homme au destin étonnant, aurait fêté son 92e anniversaire. Fils de planteur, il est devenu avocat, puis révolutionnaire fervent avant d'accéder à la tête de l'État cubain. Voici l'histoire de l'un des politiciens les plus marquants et charismatiques du XXe siècle.
«Me voici au terme de ma défense, cependant je ne finirai pas en demandant l'acquittement de l'accusé, comme le font toujours les avocats: je ne puis le faire, alors que mes compagnons souffrent dans la prison ignominieuse de l'Île des Pins. Envoyez-moi auprès d'eux partager leur sort; il est plausible que des gens honnêtes soient tués ou emprisonnés dans une république dont le président est un voleur et un criminel… je sais que la prison sera plus dure qu'elle ne l'a été pour quiconque, lourde de menaces, de viles et lâches provocations, mais je ne la crains pas de même que je ne crains pas la rage du tyran qui ôta la vie à soixante-dix de mes frères. Condamnez-moi, peu importe; l'histoire m'acquittera.»
C'est ainsi que, le 16 octobre 1953, Fidel Alejandro Castro Ruz, avocat de profession et révolutionnaire de vocation, terminait son discours de défense devant le tribunal militaire. Fidel et ses camarades étaient accusés de tentative de coup d'État, après qu'ils avaient tenté de s'emparer de la caserne de Moncada, espérant provoquer une révolte populaire à Cuba contre le régime du dictateur Fulgencio Batista.

Le verdict du tribunal fut sévère: 15 ans de prison. Fidel a tranquillement écouté la sentence. Il ne pouvait pas savoir que d'ici moins de deux ans il serait libéré grâce à une amnistie générale, qu'un an après il partirait pour Cuba avec un groupe armé à bord du yacht Granma, et qu'encore trois ans plus tard il deviendrait premier ministre de la nouvelle Cuba.
Fils de planteur
La biographie de Fidel ressemble beaucoup à celle de Lénine: tous les deux étaient issus de familles pas très riches mais assez aisées de la classe moyenne, tous les deux ont choisi la voie du droit, tous les deux sont devenus avocat, tous les deux se sont finalement retrouvés à la tête d'une révolution, puis à la tête de l'État. Mais il y a également des différences: Lénine est arrivé au pouvoir alors qu'il était déjà un économiste de niveau mondial et leader de son propre parti, alors que dans la vie de Castro il y a bien plus d'aventures, d'attaques et de décisions audacieuses ayant conduit à d'étonnants succès et à des échecs cuisants.

En fait, raconter la vie de Fidel Castro est un cadeau pour les biographes, de l'histoire de sa participation à la révolte des travailleurs sur la plantation de son père en 1939 à la lettre qu'il envoya un an plus tard au président américain Franklin Roosevelt pour le féliciter pour sa réélection et lui demander d'envoyer un billet de 10 dollars - qu'il n'avait jamais vu. Les collaborateurs de l'administration présidentielle ont dû prendre le Cubain pour un mendiant: par la suite Fidel a reçu un remerciement poli, mais pas le billet.
Et s'il y a une chose que Fidel n'était pas dans sa jeunesse, c'était bien communiste. Certes, il avait lu les classiques du marxisme, mais un jour il a déclaré qu'il serait prêt à devenir communiste à une seule condition: qu'on fasse de lui Staline. Dans chaque plaisanterie il y a une part de vérité: Fidel l'a prouvé en devenant, le 1er octobre 1965, premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba. En fin compte, Cuba a suivi la voie communiste précisément grâce à Castro, et a continué de la suivre même quand la plupart des pays de l'ancien camp socialiste l'avaient quittée.

Fidel n'était pas un ange: il est rapidement devenu accro au pouvoir (quand il était encore résistant dans les montagnes de Sierra Maestro, Castro déclarait qu'après la victoire il comptait revenir dans son village et travailler en tant qu'avocat, mais à peine les rebelles avaient-ils pris La Havane que ces intentions se sont envolées), il n'hésitait pas à se débarrasser de ses adversaires politiques, aussi bien des fonctionnaires du régime de Batista que de ses anciens camarades. Il dirigeait le pays d'une main de fer et envoyait les mécontents dans des camps. Il aimait aussi son peuple et faisait tout pour améliorer son sort, dans la limite de sa compréhension et de ses capacités. De plus, il était inconditionnellement loyal envers ses alliés, notamment la Russie.
Un second souffle
La révolution cubaine a eu lieu plus de 40 ans après la révolution russe. Il ne restait rien du romantisme révolutionnaire des années 1920 et de l'enthousiasme des constructions des années 1930. La révolution mondiale, dont rêvaient les premiers leaders soviétiques, n'a pas eu lieu. Elle a conduit à la plus terrible guerre de l'histoire du pays, et la victoire a coûté énormément d'efforts et de sang, ainsi que plusieurs vagues de famine – aussi bien avant qu'après la guerre. Certains avaient vécu très récemment une profonde fracture morale quand, pendant le XXe Congrès, avait été condamné le culte de la personnalité de Staline pour dénoncer la vérité sur les répressions massives, et au final le camp communiste mondial s'est divisé: à Pékin le nouveau gouvernement soviétique a été proclamé «révisionniste». L'agitation a commencé dans les pays qui se sont retrouvés dans la zone d'influence soviétique après la Seconde Guerre mondiale: en 1953 ont été écrasées les révoltes en RDA, et en 1956 l'insurrection en Hongrie. Le chemin lumineux sur lequel le pays s'était engagé des décennies plus tôt a conduit on ne sait où, par le sang et les souffrances.
C'est là que Cuba s'est embrasée. De l'autre côté de la planète, sans aucune aide de l'Union soviétique, est apparue et a vaincu une véritable révolution, dont les dirigeants sont venus à Moscou pour demander du soutien. Le romantisme révolutionnaire, les résistants-barbudos en uniforme vert inhabituel et avec des bérets, les slogans espagnols résonants – tout cela a redonné une puissante impulsion en confirmant qu'en réalité, l'URSS suivait la bonne voie et que toutes les victimes n'étaient pas vaines: la vague des révolutions socialistes libératrices avait enfin commencé à travers le monde.

Cuba rendait cette aide au centuple – non seulement avec son sucre, mais également avec le sang de ses soldats versé au nom de la solidarité avec les intérêts de Moscou et du communisme mondial. Les Cubains se sont battus au Congo, en Angola et en Éthiopie, La Havane envoyait gratuitement ses spécialistes, conseillers et médecins à travers le monde en aide aux anciennes colonies qui avaient choisi la voie socialiste de développement. Cuba faisait tout ce qu'on lui demandait, et même plus.
L'homme qui a su attendre
Quand l'URSS a vacillé, puis s'est effondrée, les anciens pays de démocratie populaire ont soudainement réalisé qu'ils avaient été sous le talon dur de l'occupant russe depuis toutes ces années. Cuba fut l'un des rares pays à résister aux vents changeants de l'époque. Certains pays ont gardé l'appellation «communistes» et «socialistes», mais tout en changeant leur politique économique (du moins provisoirement), en instaurant chez eux un capitalisme à faire baver d'envie les pays capitalistes développés – la Chine par exemple; d'autres se sont fermés sur eux-mêmes en transformant le communisme en culte autocratique – en Corée du Nord. Mais pas Cuba. Fidel observait avec amertume ses anciens alliés passer l'un derrière l'autre du côté de l'ennemi. Le Pacte de Varsovie est tombé, l'Union soviétique s'est effondrée. Au Nicaragua, l'un des rares pays socialistes d'Amérique, les sandinistes ont perdu les élections et la restauration du capitalisme a commencé. L'Amérique latine a été submergée par une vague néolibérale, sur fond de laquelle Cuba paraissait un anachronisme dont les jours étaient comptés.
La situation économique, déjà difficile depuis plusieurs années à cause d'une sécheresse sans précédent, est devenue critique. Si, avant cela, Cuba avait survécu à l'embargo américain grâce au commerce avec les pays du Conseil économique d'entraide et d'autres États d'Amérique latine, à présent La Havane ne pouvait compter que sur elle-même. Le PIB a chuté d'un tiers, le pays manquait de nourriture et de carburant. Cuba a réagi en misant sur un regain touristique, la libéralisation du commerce et la création de zones de libre-échange – sachant que chaque fois La Havane rappelait: ce n'est pas un pas vers l'abandon du socialisme, c'est une mesure nécessaire à notre survie.
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Fidel a tenu assez longtemps pour voir à la fois la nouvelle Russie et la nouvelle Amérique latine. A la fin des années 1990, les pays de la région ont entamé un virage à gauche: de plus en plus de pays élisaient des socialistes et des sociaux-démocrates à leur tête. Cuba, ancienne paria, est redevenue un exemple montrant comment un petit pays avec des ressources limitées pouvait garder son indépendance dans les conditions de pression économique et politique émanant d'une superpuissance. En 2014, une délégation russe menée par Vladimir Poutine est venue à Cuba. A l'issue des pourparlers avec Fidel, alors très malade, Moscou a promis d'annuler toutes les dettes soviétiques de Cuba (35 milliards de dollars) et de construire quatre nouveaux réacteurs pour le barrage de Cuba - pour l'île, qui vivait dans des conditions de déficit énergétique chronique, cela avait une valeur particulière.
Deux ans plus tard, Fidel Castro est décédé. Contrairement aux prédictions de nombreux experts américains et européens et aux espoirs des émigrés cubains, sa mort n'a pas entraîné la chute du régime de La Havane. Fidel n'a pas seulement réussi à construire une nouvelle Cuba, un pays complètement alphabétisé, avec le plus bas niveau de mortalité infantile des deux Amériques (à l'exception du Canada), et qui même dans les conditions de l'embargo envoyait gratuitement ses médecins et enseignants dans les pays du tiers monde: dans les années les plus difficiles, Cuba restait l'unique pays socialiste de l'hémisphère occidental et l'un des rares alliés fidèles de la Russie dans la région – et il y a un espoir qu'il le reste.
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